Elle est une alpiniste exceptionnelle mais si discrète qu’elle fait rarement la une des journaux. Et pourtant, Josette Valloton espère entrer bientôt dans le club de ceux qui ont gravi les quatorze 8000 de la planète. En juin dernier, la guide d’Arolla était au sommet de l’Everest! Ses yeux sont comme deux mini-répliques d’un lac de glacier. Un bleu puissant et profond dans lequel se sont mirés les plus hauts sommets du monde. Parmi eux, le Makalu, le Cho Oyu, le Manaslu, le Lho-Tse, le Shisha Pangma… Le dernier des huit 8000 qu’elle a déjà conquis, c’était l’Everest (8848 m), le 1er juin dernier.

Le toit du monde, l’endroit où vous êtes le plus près du ciel sur vos deux pieds. «Même si ce n’est pas celui sur lequel j’ai dû le plus batailler», dit Josette Valloton, avec cet accent chantant où les sons semblent eux aussi gravir de petites arêtes sonores qui donnent beaucoup de vie à ses propos. La star de l’Himalaya est la montagne qui lui a procuré «le plus d’apaisement», dit-elle. Et qui a poli et repoli sa patience, mise à l’épreuve par deux semaines d’attente au camp de base, cinq jours bloquée au camp 2 à 6500 m, avec la trouille de devoir redescendre bredouille, car la fenêtre de grimpe allait sauter à cause de la neige et des vents à 35 km/h.

Mais Josette, 57 ans le 16 septembre, l’a fait. Heureuse d’être partie dans les derniers, bien après le prince de Bahreïn et son aréopage de sherpas, et d’avoir foulé une arête sommitale presque déserte. Pas comme sur la célèbre photo qui a fait le buzz mondial où l’on voyait des alpinistes à la queue leu leu comme une alignée de tomates sur leur tige.

Chez elle, tout au bout du village d’Arolla (un drapeau tibétain sur le balcon et le glacier comme voisin direct), on a dû chercher longtemps dans son ordinateur la photo qui célébrait cet exploit. La guide de montagne, basée dans le val d’Hérens mais native de Fully, n’est pas Madame Selfie. Comme cette influenceuse-grimpeuse ukrainienne très sponsorisée qu’elle a croisée, qui n’est pas arrivée au sommet mais a utilisé Photoshop pour le faire croire.

On le comprend très vite en parlant avec elle, Josette Valloton, qui compte bien entrer dans le club très fermé des alpinistes ayant gravi les 14 sommets mythiques à plus de 8000 m, est l’humilité incarnée. De la veine de ces montagnards taiseux dont le silence n’est surpassé que par la vigueur et le talent: les André Georges, Jean Troillet, Erhard Loretan, «des gens bien qui ont pas rendu la chose trop «flagornante», lance-t-elle, et puis, dans la vallée, tu te mets pas en avant, c’est pas le style». Son site internet? C’est l’épicier du village qui s’en occupe!

Bon, on a finalement trouvé une photo d’elle à l’Everest. Mais Josette pose avec son masque à oxygène, non reconnaissable, à côté de son sherpa, Mingma Ongdi. Elle qui monte d’habitude sans O2 a dû se résoudre à y avoir recours à 7800 m. «Cette année-là, tout le monde a utilisé l’oxygène à cause des conditions météo.»

Cette modestie aussi extrême que ses sommets peut être un frein, parce que ça l’oblige le plus souvent à financer ses expéditions toute seule et à s’endetter parfois pour vivre son rêve. Rien que le permis de monter à l’Everest avoisine les 11 000 francs par personne. Sans compter tout le reste, qui double la mise.

Elle nous emmène à La Chotte, cette jolie buvette d’alpage qui fait face au glacier et d’où partent de belles balades – le lac Bleu est à moins d’une heure à pied. Elle est dans son élément, Josette, ses yeux s’animent quand ils se posent au-delà de son interlocuteur vers le glacier, les nuages, ce monde blanc et minéral qui fait pulser son sang. Elle rêve de tenter l’Annapurna encore cette année. Evoque la figure de Nicole Niquille, la première femme guide de Suisse, avec qui elle a crapahuté dans les Alpes fribourgeoises et à qui elle voue une admiration sans faille.

Elle n’est pas née dans une famille d’alpinistes. Et s’inscrira assez tard à l’école de guide après avoir passé un diplôme de tourisme. «J’aimais bien faire la fête, ce n’était pas trop compatible», rigole-t-elle. Il lui faudra bien sûr faire ses preuves dans un monde largement dominé par «des mâles alpha», comme elle les appelle, mais avec qui elle n’a pas de problèmes de cohabitation. Sauf qu’il lui a fallu faire ses preuves, naturellement. «Un grand alpiniste est un alpiniste qui a beaucoup renoncé», dit l’adage. Josette Valloton a aussi son lot d’échecs. Ce K2, deuxième plus haut sommet du monde (8611 m), qui était réputé infranchissable dans des conditions hivernales avec ce colossal glacier du Baltoro. La Valaisanne a tenté l’ascension avec une expédition internationale l’hiver dernier, qui s’est soldée par un échec et la mort de plusieurs alpinistes. Cette mort toujours en option dans le contrat passé avec la montagne.

La photo du Cho Oyu affichée en évidence à l’entrée de son appartement lui rappelle aussi, en dehors de sa beauté, qu’il lui a valu deux orteils gelés. «J’ai laissé faire la nature, je ne les ai pas coupés, mais bon, du coup, je ne mets plus de tongs!» Elle sourit, fataliste. Se souvient aussi de ces moments où le guide est seul avec lui-même pour prendre une décision qui peut impacter tout le groupe. Le Shisha Pangma a cette particularité d’abriter deux sommets: le principal à 8046 m et le central 33 m plus bas. Elle a fait les deux. «Quand j’ai voulu aller au sommet principal, tout le monde allait à l’autre à cause des risques d’avalanche. J’ai décidé d’assumer le risque, et ce n’était pas rien, car je guidais et j’entendais les sherpas qui me criaient: «It’s not the good way, it’s not the good way!»

Ce n’est pas seulement les dénivelés de la montagne qui attirent Josette dans son métier, mais aussi ceux de l’âme humaine. «Après deux jours en montagne avec un client, tu sais tout de ses forces, ses fragilités. Il y en a avec qui il faut parler tout le temps pour les motiver sinon ils calent, c’est de la psychologie en accéléré, ça crée des liens, aussi!» Cette montagne qui a occupé toute sa vie. Et qui a fait peut-être qu’elle n’a jamais pris le temps d’avoir des enfants. «Ce n’est pas un choix ni un regret. J’ai mes jeunes au Club alpin, mes nièces... J’ai beaucoup été entourée de jeunesse, je n’ai pas de manque!»

Josette Valloton aura 65 ans en 2029. La montagnarde se voit encore grimper bien après l’âge de la retraite officielle et cite Carlos Soria Fontan, cet alpiniste espagnol parti lui aussi après le record des quatorze 8000 et qui affiche 80 printemps ainsi qu’une prothèse du genou.

On essaie de la convaincre avant de la quitter qu’il lui faudrait tout de même qu’elle se mette un peu aux selfies histoire d’attirer quelques sponsors; cette femme d’exploits le mérite absolument. Ses yeux azur semblent amusés. Pour l’heure, on la sent surtout soulagée. Affronter la presse, c’était presque aussi éprouvant que l’Everest!

Par Patrick Baumann

   

Revue de presse  










   

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